La relation tumultueuse entre Elon Musk et Donald Trump a pris une nouvelle tournure dramatique, mais les problèmes de Tesla vont bien au-delà de cette querelle politique médiatisée. Alors que le PDG de Tesla annonce la création d’un nouveau parti politique et multiplie les provocations sur les réseaux sociaux, l’entreprise fait face à des défis financiers majeurs qui pourraient compromettre sa position de leader sur le marché des véhicules électriques. Entre chute des ventes, suppression des crédits d’impôt et concurrence accrue, Tesla traverse une période critique qui inquiète autant les investisseurs que les analystes les plus optimistes.
Une rupture politique aux conséquences financières désastreuses
La relation entre Elon Musk et Donald Trump, autrefois si proche qu’on surnommait le milliardaire le « premier copain » du président, s’est dramatiquement dégradée. Musk, qui avait été le plus grand soutien financier de Trump durant la campagne de 2024 et une figure omniprésente à Mar-a-Lago et à la Maison Blanche, a annoncé la création d’un nouveau parti politique appelé « America Party » suite à son mécontentement concernant le projet de loi sur les impôts et les dépenses signé par Trump.
Cette escalade politique a eu des répercussions immédiates sur les marchés financiers. Les actions de Tesla ont chuté de 6,8% lundi, effaçant 68 milliards de dollars de capitalisation boursière, avant de ne rebondir que légèrement de 1,3% mardi. Cette volatilité reflète l’inquiétude grandissante des investisseurs face aux implications des manœuvres politiques de Musk sur l’avenir de l’entreprise.
L’impact va bien au-delà des simples fluctuations boursières. Les analystes de William Blair ont rétrogradé leur recommandation sur le titre Tesla de « achat » à « neutre », citant les préoccupations liées aux activités politiques de Musk et à leurs effets potentiels sur les marges et les ventes de véhicules électriques de l’entreprise.
Des fondations financières fragilisées par les réformes gouvernementales
La situation financière de Tesla se complique davantage avec les récentes réformes introduites par le projet de loi de Trump. L’élimination du crédit d’impôt de 7 500 dollars pour les acheteurs de véhicules électriques n’est que la partie visible de l’iceberg. Plus préoccupant encore, la suppression des pénalités financières pour les constructeurs automobiles qui ne respectent pas les objectifs fédéraux d’émissions menace directement un pilier de la rentabilité de Tesla.
Ces pénalités obligeaient historiquement les constructeurs traditionnels, qui produisent encore principalement des véhicules à essence, à acheter des « crédits réglementaires » auprès des entreprises de véhicules électriques comme Tesla. Cette source de revenus a rapporté 10,6 milliards de dollars à Tesla depuis 2019 et lui a souvent permis d’afficher des bénéfices. Sans ces crédits réglementaires, l’entreprise n’aurait pas déclaré de revenus nets positifs annuels avant 2021 et serait même redevenue déficitaire au premier trimestre de cette année.
Cette dépendance aux crédits réglementaires révèle une vulnérabilité structurelle de Tesla que les récentes réformes exposent au grand jour. La suppression de cette source de revenus pourrait forcer l’entreprise à repenser fondamentalement son modèle économique et ses stratégies de tarification.
Des ventes en chute libre dans un marché pourtant en croissance
Paradoxalement, Tesla connaît ses plus importantes baisses de ventes historiques alors que la demande globale pour les véhicules électriques continue de croître. Les ventes mondiales ont chuté de 13% lors de chacun des deux premiers trimestres de l’année par rapport à la même période l’année précédente, un record négatif pour l’entreprise.
Cette contre-performance dans un marché en expansion souligne la perte de parts de marché de Tesla face à une concurrence de plus en plus féroce. D’une part, les constructeurs automobiles occidentaux déploient leurs propres gammes de véhicules électriques, offrant aux consommateurs des alternatives crédibles aux modèles Tesla. D’autre part, les constructeurs chinois, menés par BYD, ont massivement investi dans ce secteur et sont sur le point de dépasser Tesla en termes de ventes mondiales annuelles de véhicules électriques pour la première fois.
Les perspectives ne s’améliorent pas pour les mois à venir. L’expiration du crédit d’impôt de 7 500 dollars le 1er octobre prochain devrait encore affaiblir la demande. L’histoire se répète : en 2019, lorsqu’une version précédente de ce crédit d’impôt avait été supprimée pour Tesla, l’entreprise avait dû réduire le prix de ses véhicules d’environ la moitié de la valeur du crédit perdu.
Face à cette échéance, Tesla a adopté une stratégie de communication désespérée, publiant sur X que « s’il y a jamais eu un moment pour acheter une voiture impulsivement, c’est maintenant », utilisant l’acronyme « YOLO » (you only live once) pour inciter à l’achat avant la suppression du crédit.
Les ambitions robotaxi face à la réalité concurrentielle
Elon Musk tente de détourner l’attention des difficultés actuelles en misant sur l’avenir : robots, intelligence artificielle et taxis autonomes. Cependant, la réalité du déploiement de ces technologies est bien plus complexe que les promesses du PDG.
Le service de taxi autonome de Tesla reste extrêmement limité, disponible uniquement à Austin, Texas, pour un groupe restreint de clients, principalement des fans de Tesla, et avec un employé Tesla assis sur le siège passager avant pour surveiller les performances du véhicule. Cette configuration place Tesla loin derrière Waymo, la filiale de véhicules autonomes d’Alphabet (Google), qui propose déjà des services de robotaxi dans quatre villes : Austin, San Francisco, Los Angeles et Phoenix.
Le déploiement de Tesla a été marqué par plusieurs incidents préoccupants, notamment des vidéos montrant un robotaxi circulant du mauvais côté de la route sur environ la moitié d’un pâté de maisons et un autre tournant lentement ses roues avant vers une voiture garée. Ces incidents soulèvent des questions importantes sur la fiabilité et la sécurité de la technologie Tesla.
Malgré les promesses de Musk d’étendre rapidement le service à de nombreuses autres villes, aucun détail concret n’a été fourni. Il n’a pas non plus précisé quand le service d’Austin sera étendu au grand public ou quand les moniteurs humains ne seront plus nécessaires. En revanche, Waymo a des plans définitifs pour étendre son service à Miami et Washington D.C. l’année prochaine en partenariat avec Uber.
Une crise de leadership qui divise les analystes
La situation critique de Tesla pousse même les analystes les plus optimistes à exprimer leurs préoccupations. Dan Ives de Wedbush Securities, connu pour être favorable à l’entreprise et maintenant un objectif de cours de 500 dollars, a publié une note sévère appelant le conseil d’administration de Tesla à établir des règles pour limiter les activités politiques de Musk.
« Tesla se dirige vers l’une des étapes les plus importantes de son cycle de croissance avec l’avenir autonome et robotique maintenant à nos portes et ne peut pas avoir Musk passant de plus en plus de temps à créer un parti politique », a-t-il écrit. Ives a recommandé que le conseil d’administration crée un nouveau package de rémunération pour Musk, établisse des « garde-fous » pour le temps qu’il doit consacrer à Tesla, et mette en place une « surveillance des activités politiques ».
La réaction de Musk à ces conseils a été caractéristique : « Tais-toi, Dan », a-t-il répondu sur X, illustrant parfaitement le défi auquel fait face Tesla avec un PDG imprévisible et de plus en plus déconnecté des préoccupations de ses investisseurs.
Cette tension révèle un problème plus profond de gouvernance d’entreprise. James Fishback, PDG du fonds spéculatif Azoria Partners et supporter de Trump, a même reporté le lancement d’un fonds négocié en bourse qui aurait investi dans les actions et options de Tesla, déclarant qu' »Elon est allé trop loin ».
La crise de Tesla illustre parfaitement les risques d’une gouvernance d’entreprise trop dépendante d’une personnalité unique, aussi brillante soit-elle. Alors que l’entreprise fait face à des défis techniques, financiers et concurrentiels majeurs, les distractions politiques de son PDG apparaissent comme un luxe qu’elle ne peut plus se permettre. L’avenir de Tesla dépendra largement de sa capacité à résoudre cette équation complexe entre innovation technologique, performance financière et stabilité managériale dans un environnement de plus en plus concurrentiel.