Dans un marché des véhicules électriques dominé par des modèles de luxe aux prix prohibitifs, une nouvelle startup fait sensation avec une approche radicalement différente. Slate Auto, soutenue par Jeff Bezos, promet de chambouler l’industrie avec un pickup électrique minimaliste à moins de 20 000 $ (après crédits d’impôt). Ce véhicule, qui rappelle la philosophie de Saturn, se distingue par sa simplicité assumée et son approche modulaire, semblable à un kit LEGO. Au lieu de suivre la tendance à la sophistication technologique et au luxe, Slate mise sur l’accessibilité et la personnalisation, offrant une solution pour ceux qui recherchent simplement un moyen de transport électrique abordable.
Une stratégie de fabrication à contre-courant
Contrairement à de nombreux acteurs du marché qui adoptent des techniques de production innovantes comme le gigacasting, Slate a choisi une voie différente. Le gigacasting, pionné par Tesla, est une méthode qui consiste à couler des pièces métalliques complexes d’un seul bloc grâce à des machines de moulage sous haute pression. Cette technique permet de réduire considérablement le nombre de pièces nécessaires à la construction d’un véhicule – Tesla a ainsi éliminé 370 pièces du modèle Y, réduit son poids de 10% et amélioré son efficacité.
Pourtant, Slate a délibérément choisi de ne pas utiliser cette technologie. Un porte-parole de l’entreprise explique : « Le gigacasting élimine la complexité des pièces mais ajoute de la complexité en ingénierie et en coûts. L’ingénierie et la fabrication de Slate se sont concentrées sur l’élimination de ce qui est inutile pour offrir un véhicule radicalement abordable. »
Cette décision s’explique par plusieurs facteurs. D’abord, le coût : une seule machine de gigacasting et ses outillages peuvent coûter plus de 7,5 millions de dollars. De plus, l’ingénierie derrière cette technologie est complexe et nécessite des alliages spéciaux qui peuvent coûter deux à trois fois plus cher que l’acier standard utilisé dans les pièces embouties traditionnelles.
Une approche minimaliste révolutionnaire
Slate justifie sa stratégie par la simplicité inhérente de ses véhicules. Alors que la plupart des usines automobiles utilisent environ 2 500 composants finis uniques pour chaque véhicule, Slate n’en utilise que 500. Cette réduction drastique compense largement les économies potentielles du gigacasting.
Le véhicule de base, surnommé « Blank Slate » (ardoise vierge), est délibérément spartiate. Il s’agit d’un pickup électrique deux places sans stéréo, console centrale, porte-gobelets, ni même un écran d’infodivertissement basique. Cette approche minimaliste permet d’atteindre le prix plancher annoncé de moins de 20 000 $ (après crédits d’impôt).
La véritable innovation de Slate réside dans sa modularité. Les acheteurs peuvent personnaliser leur véhicule avec des centaines d’options à un coût supplémentaire. Le pickup peut ainsi être transformé en SUV ou en fastback grâce à des extensions de toit boulonnées. Cette flexibilité a suscité l’enthousiasme des fans qui s’empressent de créer leurs configurations uniques sur le configurateur en ligne.
Le camion Slate s’adresse à une clientèle spécifique : ceux qui recherchent un véhicule électrique utilitaire pour les trajets quotidiens sans se ruiner, ou ceux qui désirent les capacités d’un pickup mais dans un format compact, rappelant le Chevy S-10 de la fin des années 1990 plutôt que l’imposant Ford F-150 actuel.
Le passage du concept minimaliste à la production massive représente cependant un véritable défi. Pour réaliser sa vision d’un véhicule électrique véritablement abordable, Slate devra transformer son approche conceptuelle en une réalité industrielle viable.
Une usine pour concrétiser l’ambition
Pour passer du concept à la réalité, Slate a récemment annoncé son site de production : une ancienne imprimerie située à Warsaw, dans l’Indiana. Cette installation de 130 000 mètres carrés appartenait auparavant à R.R. Donnelly et employait 500 personnes avant sa fermeture en 2023.
Slate prévoit de réaménager cette usine pour la production de véhicules électriques et d’embaucher environ 2 000 travailleurs. L’objectif est ambitieux : atteindre une capacité de production annuelle de 150 000 véhicules. Bien que ce niveau de production prenne généralement des années à atteindre, la réutilisation d’installations existantes plutôt que la construction d’une toute nouvelle usine est économiquement judicieuse.
Cette stratégie a fait ses preuves dans l’industrie automobile. L’usine de Tesla à Fremont, en Californie, qui produit aujourd’hui 650 000 véhicules par an, était autrefois une coentreprise entre Toyota et General Motors. De même, l’installation de Rivian à Normal, dans l’Illinois, est une ancienne usine Mitsubishi.
Comparaison des approches de fabrication | Gigacasting (Tesla) | Approche traditionnelle (Slate) |
---|---|---|
Coût initial | Très élevé (7,5+ millions $) | Modéré |
Complexité d’ingénierie | Élevée | Modérée |
Nombre de pièces | Réduit (- 370 pièces pour Model Y) | Standard (mais seulement 500 composants au total) |
Matériaux | Alliages spéciaux coûteux | Acier standard moins coûteux |
Gain de poids | Environ 10% | Modérée |
Adaptabilité à la production à petite échelle | Faible | Élevée |
Le défi pour Slate sera de transformer une ancienne imprimerie en une usine automobile moderne capable de produire des véhicules électriques. Contrairement à d’autres reconversions d’usines, aucun équipement existant ne pourra être réutilisé, ce qui représente un défi supplémentaire. La mise en service de cette installation, prévue pour l’année prochaine, sera une étape cruciale pour la startup.
Perspectives d’évolution : vers une gamme élargie?
Si le Slate dans sa version pickup compact deux portes constitue une entrée intéressante sur le marché, cette configuration seule pourrait limiter son potentiel commercial. Pour atteindre son objectif ambitieux de 150 000 véhicules par an, l’entreprise devra probablement élargir sa gamme.
Une évolution logique serait le développement d’une version à quatre portes et à empattement allongé. Une telle configuration permettrait d’offrir un pickup à cabine double, une berline ou même un break, élargissant considérablement le spectre des clients potentiels. Un modèle étiré d’environ 20 centimètres pourrait accueillir trois rangées de sièges, offrant une capacité et une polyvalence accrues.
La plateforme actuelle de Slate a probablement été conçue avec cette évolution en tête. Bien que le modèle actuel ne soit proposé qu’avec un seul moteur monté à l’arrière, l’espace disponible sur l’essieu avant pourrait accueillir une seconde unité d’entraînement pour une version à quatre roues motrices, augmentant les capacités tout-terrain du véhicule.
L’augmentation de l’empattement permettrait également d’intégrer une batterie plus grande, améliorant l’autonomie qui est actuellement estimée à 386 kilomètres avec la batterie optionnelle de 84,3 kWh. Une version étendue, même avec une batterie plus grande, pourrait rester relativement abordable, probablement aux alentours de 35 000 $ avant incitations fiscales.
La route est encore longue pour Slate. Le modèle actuel à deux portes ne devrait pas entrer en production avant fin 2026, laissant le temps au marché d’évoluer et rendant potentiellement plus difficile l’atteinte du prix cible de 20 000 $. Cependant, comparée à d’autres startups, Slate semble avoir un plan solide avec plusieurs prototypes déjà construits et une stratégie de production cohérente.
Pour en conclure, Slate Auto représente une approche rafraîchissante dans l’industrie des véhicules électriques. Plutôt que de s’engager dans une course à la technologie et au luxe, la startup mise sur la simplicité, l’abordabilité et la personnalisation. En renonçant au gigacasting et en adoptant une philosophie minimaliste, Slate défie les conventions établies.
Le succès de cette entreprise dépendra de sa capacité à transformer son ancienne imprimerie en une usine automobile efficace et à concrétiser sa promesse d’un véhicule électrique à 20 000 $. Si elle y parvient, Slate pourrait bien démocratiser les véhicules électriques d’une manière que les constructeurs établis n’ont pas réussi à faire jusqu’à présent.
La révolution de Slate ne réside pas dans une innovation technologique spectaculaire, mais dans un retour aux fondamentaux : offrir un véhicule simple, fonctionnel et abordable qui répond aux besoins essentiels des consommateurs. Dans un marché saturé de véhicules électriques de luxe, cette approche pourrait s’avérer véritablement révolutionnaire.